Le prix restera le nerf de la guerre pour la grande distribution. Shrink est la traduction anglaise du verbe rétrécir. La mécanique est assez simple pour les industriels, maintenir (voir augmenter) des prix tout en baissant la quantité proposée aux consommateurs. L'inflation à récemment fait lumière sur ce marketing d'optimisation, destiné à faire grossir les profits des industriels. Par où commencer ?
6% d'inflation sur les douze derniers mois 😵💫
Le constat initial est simple, une forte inflation observée sur 2022 dans quasiment toutes les industries. L'INSEE évoque une hausse de 6% sur les indices de prix à la consommation (IPC), voire même 7,7% sur le secteur de l'alimentation au mois d'Août. On ne reviendra pas sur les multiples causes et origines mais l'on peut expliquer principalement ce contexte par une flambée des matières premières.
Évolution des indices des prix à la consommation, hors Mayotte - Source : INSEE
OK mais lorsque l'on est industriel, que faire ? 🤷🏾
Imaginons que vous êtes gérant d'une PME proposant des produits laitiers type fromages et yaourts. Depuis une dizaine de mois, vous subissez une hausse du coût des matières premières (le lait) de l'ordre de 20% qui rogne énormément sur vos marges. Après avoir retourné le problème dans tous les sens, vous vous dites que vous n'avez plus le choix :
Une première action consiste ici à augmenter les prix. Pour 4 yaourts 125 grammes chacun, un client avait l'habitude de payer 2,70€, ce sera désormais 3,00€. Impacts théoriques :
[Impact Moyen] Croissance de bénéfice avec plus de chiffre d'affaires
[Impact Moyen] Insatisfaction client & potentielle baisse de part de marché
Une deuxième action consiste à réduire la quantité vendue en maintenant un prix fixe. Le client continuera donc de payer 2,70€ pour yaourts, mais ceux-ci contiendront 115 grammes chacun contre 125 initialement. Impacts théoriques :
[Impact Moyen] Croissance de bénéfice avec moins de charges (produit mais aussi stockage, transport...)
[Impact Faible] Insatisfaction client & potentielle baisse de part de marché
On est d'accord, les impacts pour les clients varient en fonction de l'affection qu'ils ont pour le produit, pour la marque et la sensibilité qu'ils vont avoir par rapport au prix de vente. De même, pour des achats quotidiens (achats routiniers), il est possible que le consommateur ne remarque pas au premier abord la baisse de quantité du produit qu'il achète. Et c'est là toute la roublardise / le manque de transparence, que l'on peut finalement reprocher à certains industriels.
Est-ce vraiment révolutionnaire ?
Le processus du shrinkflation est en fait très ancien mais il tend à se démocratiser depuis quelque temps à la suite du contexte inflationniste. Exemples avec les barres de chocolat Mars sont passées en 62,5 grammes à 58 grammes en 2009 avec un prix de vente similaire. Le conditionnement des sachets de thé Tetley est passé quant à lui de 100 unités à 88 en 2010 au Royaume-Uni.
Une étude plus globale a été menée par le gouvernement britannique entre juillet 2015 et juin 2017. Sur un scope de 37.400 produits enregistrés portant sur l'industrie alimentaire et boissons, il a été démontré qu'environ 2% du total avait été soumis à un changement de conditionnement.
Si l'on zoom sur les références uniques ayant vu la quantité/taille de leur produit évoluée sur la période :
L'ensemble de l'échantillon est composé de 939 produits.
81% de ces produits ont vu leurs quantités baissées. Parmi ceux-là:
17% des produits ont vu leurs prix baissés (OK)
68% ont vu leurs prix rester stable (shrinkflation)
15% ont vu leurs prix augmentés (shrinkflation)
Évolution des prix après changement de quantité - Source : UK Office for National Statistics
Il y a bien évidemment une limite à cette étude puisque l'on suggère que les conditions de vente doivent rester identiques sur une période glissante de deux ans (coûts des matières premières, contrats commerciaux ou effets promo par exemple). Dans ce sens, cela laisse penser que la responsabilité repose uniquement sur les industriels et non sur les revendeurs GMS (grandes et moyennes surfaces). Dans tous les cas, on peut questionner le paradoxe de payer plus pour un produit d'une moindre quantité (concerne 110 références) ...
Foodwatch France, organisation à but non lucratif spécialisée dans l'alimentation, nous a illustrés récemment quelques exemples très concrets :
Margarine St Hubert Omega 3 / 240 gr à 230 gr (-4%) / Prix kg +18%
Sirop Teisseire / 75cl à 65cl (-20%) / Prix L +37%
Sucre Saint Louis / 750 à 500 gr (-13%) / Prix kg +12%
Eau Salvetat / 1,25L à 1,15L (-8%) / Prix L + 5%
Chocolat Pyrénéens Lindt / 30 à 24 chocolats (-20%) / Prix kg +20%
Portion Kiri / 20 gr à 18 gr (-10%) / Prix kg +11%
Shrinkflation Vs. Cheapflation ?
Une autre pratique un peu moins connue évolue sous le terme obscur de cheapflation, et là encore c'est d'un point de vue consommateur il y a de quoi se poser quelques questions. Le cheapflation consiste à modifier les recettes des produits proposés tout en gardant un prix identique. On utilise des matières premières moins onéreuses pour finalement augmenter la marge (bonjour la malbouffe ! 👋). Si l'on reprend l'exemple de nos yaourts, on peut imaginer un avant/après avec un écart des coûts de production de l'ordre de 6%.
Sans forcément dénaturer les caractéristiques d'un produit (goûts, texture, odeur, couleur...) on comprend très vite l'intérêt pour la pratique. Qu'on soit d'accord, si l'on se met dans les chaussures d'industriel, il est compréhensible d'explorer différentes pistes afin de préserver la santé financière de son activité. Ce que l'on peut toutefois reprocher c'est le manque de transparence avec le consommateur qui ne percevra probablement pas les différences : quantité dans le premier cas évoqué, qualité dans le second cas.
Source:
Shrinkflation ou inflation masquée : des aliments qui rétrécissent et des prix qui grimpent, FoodWatch
Shrinkflation : la taille des aliments diminue en catimini tandis que les prix gonflent, FoodWatch
En août 2022, les prix à la consommation augmentent de 5,8 % sur un an, INSEE
Inflation : les coups bas des hypers, France2
Après l’alerte de Foodwatch sur la « shrinkflation », Olivia Grégoire demande une enquête, HuffingtonPost
Lindt, Danone et Kiri accusés de « shrinkflation » sur les produits alimentaires, LeMonde
Shrinkflation: How many of our products are getting smaller?, Office for National Statistics
Quelle technique est la plus fourbe selon vous ?
Shrinkflation 📐
Cheapflation 📊
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